Intervention d'Hugues Bazin,Laboratoire de Recherche-Action : Enjeux de la connaissance d’un tiers espace de l’expérience à travers un « art-social » Nous n’allons pas nous attacher ici à une définition de l’art ou du social, mais à l’espace d’expérience que produit cette relation. Il ne s’agit pas de considérer l’ « art social » comme un objet avec des propriétés spécifiques, mais de le comprendre comme une certaine relation de l’art au social.Effectivement, soit il y a « art », soit il n’y a pas « art », il n’y a donc pas d’« art social » ou plutôt tout art est social dans le sens ou une œuvre rencontre un public et génère une expérience esthétique. L’art-social (ici le tiret entre les deux termes prend toute son importance) décrit ce qui se passe dans une forme d’immersion et d’implication de l’art dans des situations en milieu dit « fermé » (institution socio-éducative, sanitaire, carcérale, etc.) ou « ouvert » (rue, quartier, espaces publics, etc.), le terme « social » se comprend alors dans une approche microsociologique comme des situations humaines collectives.L’art-social précise donc plus une intention et un processus à l’opposé d’une autre posture qui pourrait s’appeler « l’art pour l’art ». Les deux ont leur propre cohérence. Seulement l’art-social apparaît moins légitime comme « démarche artistique », semble faire moins autorité que l’art pour l'art selon le credo académique ou institutionnel. Cette question de légitimité, de connaissance et de reconnaissance est donc un analyseur des enjeux d’une époque.Nous pouvons faire la comparaison avec la démarche de recherche-action qui nous anime au sein du LISRA (Laboratoire d'Innovation Sociale par la Recherche-Action). De même, c’est le tiret entre recherche et action qui est intéressant. Nous pouvons dire à ce titre que la recherche-action n’est pas une science spécifique, mais l’implication d’une démarche scientifique en situation de coproduction sociale et scientifique comme l’art-social est une coproduction sociale et artistique. Le problème, c‘est que seule la science dite positiviste ou académique apparaît comme recevable.Un espace hybrideAu-delà de cette discussion sur les critères scientifiques ou artistiques se cachent des enjeux politiques et un champ problématique que nous essayons de rendre visibles sous l’énoncé « tiers espaces » qui concerne tous les secteurs de l’activité humaine. Ainsi, dans cette relation privilégiée de l’art au social, nous pourrions définir l’art-social comme la possibilité de créer un tiers espace autonome et cohérent sans lequel une pensée politique de la culture ne pourrait exister. Comment expliquer alors que cette richesse entre dans « l’angle mort » de la connaissance, une non-visibilité ?En fait, cela n'est pas le propre de l'art social, mais de toute forme hybride qui n'est pas l'addition de deux champs, mais la formation d’un troisième champ par la conjugaison des deux premiers. Nous pourrions faire la même remarque pour la relation entre l’économie marchande et non marchande (le tiers secteur), entre la recherche scientifique et l’action pragmatique (la recherche-action), entre la culture patrimoniale territoriale et la culture rhizome nomade (culture libre), etc. Les acteurs qui exercent leurs activités dans cet « entre-deux » jouent sur un répertoire élargi de compétences qu’ils réinvestissent en situation. Pourtant ces acteurs sont rarement sollicités pour leur capacité d’expertise. Finalement, nous avons le sentiment d’un énorme gâchis, car se sont des domaines entiers de l’engagement humain qui ne sont pas pris en compte.Plusieurs questions se posent alors : comment définir ce « tiers espace » de l'expérience humaine, pourquoi est-il si difficile à penser et comment faire aujourd’hui pour qu’il puisse poser des enjeux ?Je m’appuierai sur plusieurs expériences suivies par le Laboratoire d'Innovation Sociale par la Recherche-Action. Par exemple on peut définir les ateliers-artistiques dans les milieux populaires comme l’espace non-académique d’une rencontre prenant en compte un contexte social autour d’une matière travaillée en commun entre des intervenants et des pratiquants sachant que la production du processus privilégie plus une transformation qu’un produit fini, en particulier grâce au décalage ou au déplacement offrant à chacun la liberté de se positionner autrement, d’adopter un autre point de vue. À ce titre le jeu de relations qui s’instaure entre les différents protagonistes de la situation d’atelier s’apparente à un écosystème dont la caractéristique est un fort potentiel créatif, la diversité des participants, une coopération fédérant des compétences différentes, un fonctionnement visant une certaine autogestion, autorégulation, autonomie et enfin comme tout écosystème, des effets de bordure dans les zones frontalières de la situation (processus de sensibilisation, transmission, création, diffusion).C’est ce que nous avons aussi constaté dans d’autres espaces intermédiaires comme celui d’un « Echomusée » dans l’un des quartiers populaires les plus denses de France, la Goutte d’Or à Paris. Cette structure associative est un lieu ouvert de croisement social et artistique, lieu de rencontre, d'exposition, d’atelier, centre de ressources qui n’est reconnu ni dans sa portée sociale, ni dans sa portée artistique. C’est un « quelque part » cartographié nulle part, pas une utopie puisque bien réel sur un territoire, mais un autre rapport au réel, une « hétérotopie » pour reprendre le terme de Michel Foucault1 : des espaces concrets qui hébergent l'imaginaire d’une fabrique à faire société autrement. Ce serait la meilleure façon de définir l’art-social, ces « zones d'autonomie temporaire » déjà décrites en 1991 par Hakim Bey2.Une pensée politique de la cultureAlors, est-ce que les « tiers espaces » que nous décrivons sont condamnés à rester le « pays de ceux que l’on ne nomme pas » qui font des choses que l’on ne voit pas ? Pourtant ces espaces reflètent la vivacité d’un territoire, d’un morceau de société dont ils captent le mouvement, l’énergie, les effluves, les couleurs, ce que l’UNESCO appelle la « culture immatérielle ». Constatons que les observatoires n’observent que ce que l’on veut bien voir, les études étudient ce que l’on veut bien analyser. Autrement dit, nous sommes coincés entre les paradigmes de pensée d’une époque révolue et la nécessité de comprendre à chaud les mutations contemporaines.Une illustration est la division sectorielle de l’activité économique empêchant une pensée écosystémique à l’instar d’une pensée de la ville non comprise comme espaces vivants par lesquels l’urbanité se transforme3, mais comme des espaces à remplir ou vider sous l’emprise conjuguée de l’idéologie sécuritaire et marchande, bref comme le dit si bien le chef de l’État à propos d’Internet, des « espaces à civiliser » (entendre « contrôler et marchandiser »).C’est toute la difficulté à laquelle renvoie l’art social de (re)placer l’homme au centre comme producteur de richesse, non comme données exploitables (capitalisme cognitif, bio pouvoir, idéologie de la performance) ou comme problème à résoudre au regard des institutions (insertion des jeunes, intégration des immigrés, traitement des banlieues, etc.).Autre exemple est l’absence d’une pensée politique de la culture qui oppose traditionnellement, surtout en France (« exception culturelle » oblige !) une culture légitime, officielle, patrimoniale ou institutionnelle garantie par l’État et une culture populaire de consommation de masse mondialisée soumise aux lois du marché (industrie culturelle, culture mainstream). Comme s’il n’existait pas entre cette conception verticale et horizontale de la culture la vision « oblique » d’un tiers espace où la culture joue ici son rôle fondamental d’un travail réflexif de la société sur elle-même. En d'autres mots, une pensée politique de la culture devient possible parce que l’on s’extirpe d’une opposition binaire (conduisant à la chosification de la société sous des traits culturels figés4) pour aborder une complexité et faciliter ainsi la construction d’une parole tierce dans l’espace public, à la fois comme introduction d’une altérité irréductible (la place de l’Autre, de l’Étranger) et d’une inter-médiation possible (d’une communauté de solitudes à une communauté de destin).L’art social participe à la production de ce tiers espace en soulignant en creux l’incapacité politique à le penser. Un graffiti-artiste remarquera que son travail exposé en galerie est encensé et le même processus dans l’espace public (subway-art, street art) est méprisé ou condamné alors que justement l’enjeu est de réintroduire l’expérience esthétique pour tous dans un espace non marchand. De même un danseur hip-hop gagnera ses lettres de noblesse en montant sur la scène d’un théâtre alors qu’il ne sera pas reconnu dans la rue dans le même exercice crucial de réintroduire le corps dans la société comme expression du mouvement entre un « proto-mouvement » (manière de bouger, d’être, de faire) et un méta-mouvement (mouvement culturel de conscience).Bref, un art est accepté et acceptable s’il n’est pas un art du combat ! Et d’une manière générale les acteurs d’un tiers espace ne sont acceptés et acceptables que s’ils ne participent pas activement à une transformation de la société.Création de pôles de connaissanceDans tous les cas les formes d’engagement sont bouleversées5 alors que nous passons des luttes s’inspirant du modèle ouvrier comme exploitation de la force de travail à l’exploitation directe de la personnalité humaine comme matière première (créativité, émotion, savoir-être et savoir-faire, capital social, etc.). C’est sur le terrain de l’économie de la connaissance que se situent les enjeux de pouvoir et par conséquent les nouvelles formes de luttes. L’art-social comme d’autres interventions du tiers espace pourrait servir de levier à une formation-action déjà par l’ouverture d’un « champ du possible » en indiquant d’autres voies pour une intelligence collective.Nous tentons par exemple de mettre en place avec le LISRA à l’échelle régionale des « collèges d’acteurs-chercheurs » qui jouent le rôle d’interface entre ces espaces non visibles de l’expérience humaine et des décideurs/partenaires/collectivité susceptibles de soutenir et redéployer ce processus. De fait les principaux acteurs du débat, ceux qui font vraiment un travail de la culture et de l’éducation populaire dans le sens de cette transformation sont absents de la scène politique. Il ne s’agit donc pas seulement de permettre aux professionnels de défendre leurs statuts sous la forme de corporation (musiques actuelles, arts de la rue, etc.), mais d’inclure tous les travailleurs du social et de la culture, si l’on veut bien admettre que des enjeux deviennent réellement politiques lorsqu’ils ne sont plus l’apanage des « professionnelles de la profession » ou d’une catégorie d’experts autoproclamée.Cela passe par une réorientation du soutien aux logiques de projets classiques vers des pôles de productions de connaissances selon des approches coopératives faisant appel à des réseaux en sciences/arts/cultures/ participatifs et citoyens avec des outils d’évaluation6 confirmant la pertinence de cette orientation.Un des buts de tels dispositifs est de faire reconnaître les configurations sociales en tiers espace comme expérimentations cohérentes produisant une innovation appropriable, c’est-à-dire comme des « laboratoires sociaux ». Effectivement une expérimentation touche par définition un groupe restreint de personnes. Sans sa reconnaissance comme laboratoire social, elle ne peut s’élargir et être reprise dans un processus de développement. Il s’agit ainsi de mettre les connaissances acquises au service d’une transformation effective en dégageant des références et en diffusant les savoirs.Hugues Bazin – juin 2011, publié dans http://blog.recherche-action.fr/tiers-espace/Michel Foucault, Dits et écrits 1984 , Des espaces autres (conférence au Cercle d'études architecturales, 14 mars 1967), in Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, octobre 1984, pp. 46-49. (http://foucault.info/documents/heteroTopia/foucault.heteroTopia.fr.html) 2 BEY H, TAZ : Zone Autonome Temporaire, (The Temporary Autonomous Zone, 1991, Ed. Autonomedia USA), Paris : L`éclat, 1997, 35p. 3 Les adeptes de l’art du mouvement (ou « parkour ») et autres explorateurs urbains peuvent en témoigner comme les mouvements anti-pub. Voir la critique de certaines thèses culturalistes légitimant les politiques d’exclusion et de discrimination : du « déni des cultures » à la méconnaissance de l'immigration africaine (http://www.laurent-mucchielli.org/index.php?post%2F2011%2F05%2F27%2Fdu-deni-des-cultures-a-la-meconnaissance-de-l-immigration-africaine) 5 Il existe évidemment une résistance de la part des structures oligarchiques politiques et économiques qui s’opposent sous couvert de débats démocratiques à toute forme de changement qui viendrait de la base sous des modes d’organisation situationnelle en contre pourvoir citoyen. Si ce constat est relativement clair à établir, les stratégies pour y répondre sont plus difficiles à concevoir. Ce qui se passe de l’autre côté de la Méditerranée et qui tend aujourd’hui à remonter l’Europe par le détroit de Gibraltar à travers l’ouverture de situation collective dans l’espace public est un indicateur intéressant d’une conjugaison entre une culture libre venant du monde numérique et des modèles d’organisation alternative de type écosystémique. 6 Littéralement, attribuer une valeur. Qu’est-ce qui est évalué, comment, pourquoi, par qui ? L’intérêt de l’évaluation est directement tributaire de l’intérêt de l’objet évalué. Avoir de bons outils n’a de pertinence que si on sait ce que l’on doit évaluer et pourquoi on doit le faire. Littéralement, attribuer une valeur. Qu’est-ce qui est évalué, comment, pourquoi, par qui ? L’intérêt de l’évaluation est directement tributaire de l’intérêt de l’objet évalué. Avoir de bons outils n’a de pertinence que si on sait ce que l’on doit évaluer et pourquoi on doit le faire.

     ART SOCIAL - STAKES AND ISSUES

1- Hugues Bazin : Stakes of the recognition of a third space toward a Social Art

2- Alain Manac : The cultural policies and the amateur practice

3- Cie Sin

4- Bahija Kibbou : Art Factories

5- Perrine Alranque : FEDERation OF THE STREET PERFORMING arts

Intervention d'Alain Manac,

Réseau des Foyers Ruraux :

 

Les politiques culturelles et la pratique amateur

 

Je viens témoigner de plusieurs expériences en lien avec le thème de votre séminaire. Tout d'abord, une première structure avec laquelle j'ai passé quelques temps, qui s'appelait le "Théâtre hors les murs", un cycle théâtral et d'humanité, dont le projet était d'implanter l'art dans les banlieux. Moi j'ai vécu cette aventure là en tant que jeune comédien et en tant qu'animateur mais je me suis aperçu qu'au théâtre de Sartrouville ne venait voir les spectacles de Chéreau que le quartier Latin, c'est à dire l'intelligentsia Française de Paris, et puis sans doute quelques cadres venus d'un comité d'entreprise des entreprises locales.

Au bout de trois ans de ça je me suis dit ce n'est pas le théâtre que j'ai envie de faire. Je venais du théâtre amateur avant, j'avais même redoublé pas mal de classes à cause de cette passion et j'ai donc retrouvé mes anciens amis du théâtre amateur d'avant et j'ai initié du théâtre d'intervention, dans lequel nous avions fixé comme rêgle :

1, on ne joue pas de repertoire,

2, on ne joue pas dans les lieux théâtraux,

3, on joue partout ailleurs. Partout ailleurs ça veut dire dans la rue, dans les cafeteria d'entreprise, les appartements, les associations, ça veut dire les endroits où les gens vivent et les gens ne viennent pas au spectacle dans cet endroit là.

Donc on a travaillé avec cette troupe pendant plus de dix ans, on avait à peu près 250 ou 300 interventions par an, avec cette identité énorme qui était celle de l'action syndicale. Quand on travaillait dans une entreprise on était en contact avec le syndicat d'entreprise qui nous disait "si vous pouviez venir jouer votre spectacle de clown à la cafeteria, on va vous donner quelques éléments..." On arrivait dans l'entreprise, on travaillait avec les délégués syndicaux pour comprendre les problèmes qu'ils voulaient mettre en évidence et on les intégrait dans quelques trames qu'on avait puis on présentait ça à la cafétéria d'entreprise. C'était des spectacles, en beaucoup moins bien, à la façon Dario Fo, c'est à dire basé sur le rire et l'humour. Ce travail là, que j'ai vécu de façon extrêmement intense, était une troisième convention très importante à mes yeux, dédiée aux gens qui avaient envie d'utiliser le théâtre comme outil pour dire ou faire dire, ou dire à la place de toute autre chose, ou autrement que dans un tract, ce qu'ils vivaient, ce qu'ils ressentaient, ce pour quoi ils se battaient et ce pour quoi ils vivaient. C'est ainsi que l'on a travaillé avec les entreprises en lutte qui étaient au bout du rouleau et qui nous ont demandé de venir monter un spectacle. Notre démarche a alors évolué. On a refusé de jouer et on a demandé aux employés des entreprises de jouer leur propre rôle.

Je ne sais pas si je ne vais pas parler d'art ensuite, je n'ai surtout pas envie d'en parler, en tout cas pour moi c'est pas de l'art, c'est un travail sur l'expression des gens, sur le respect de leur propre intimité et sur le respect de leur propre démarche unique de création.

Pendant cette période, j'ai rencontré l'éducation populaire. En France, l'éducation populaire est quelque chose de phénoménal et d'extrêmement performant. Né d'un discours de Condorset en 1792 je crois, qui dit qu'il faut que le peuple soit éduqué pour qu'il soit citoyen. Cette pensée sur l'éducation permanente, c'est à dire le droit pour chacun de disposer toute sa vie de formation, d'éducation, est quelque chose qui a été laissé de côté et qu'on retrouve simplement à la deuxième partie du 19ème siècle avec les révolutionnaires de 1848, parce qu'on arrive en France à ce moment là au suffrage universel et la question est vraiment celle de la formation. La question de l'éducation est celle de la démocratie, et celle de la culture par la même occasion. J'entend par là qu'il faut qu'on vote en connaissance de cause. Il ne sagit pas de voter parce que un parti vous a dit de voter pour lui, il s'agit de voter en connaissance de cause. Et tout ce travail de l'éducation populaire, se réfère à cette idée là, c'est a dire "j'agis en connaissance et je prends position et une posture politique précise".

Alors pourquoi relier le travail dont je parlais avant, de comédien (et non pas d'artiste), de comédien de rue, de comédien de comité d'entreprise, de comédien de fête de quartier, de fêtes de village? Parce que simplement, je crois que à un moment ou à un autre il peut y avoir des déclics qui se font simplement par le rire ou par la dérision, mais surtout par la pratique elle même. On oublie trop souvent en France que près 24% de la population est inscrite dans des pratiques amateurs. Paradoxalement on a mis en oeuvre dans notre pays des politiques culturelles qui sont fondées sur l'accès à la culture, c'est à dire surtout l'accès aux arts. Et voilà toute l'erreur à mon avis fondamentale de la politique Francaise depuis 1960 et depuis la pensée de Malraux, qui est de dire : "Il va y avoir culture quand il va y avoir rencontre entre une oeuvre d'art et le peuple" et je crois que ça, les 50 années ou les 60 années de ministère de la culture nous montrent que c'est complètement faux et qu'il n'y a pas forcement culture quand il y a rencontre avec une oeuvre d'art. Il y a peut-être consommation artistique, ce qui se passe aujourd'hui, on a à peu près 16% de la population Francaise qui bénéficie de toutes les politiques culturelles en France pour consommer de la culture et de l'art dans des maisons qui sont reservées à leur propre usage et le reste n'existe pas. Je vous préviens je caricature un peu, c'est fait exprès. Donc cette politique culturelle en France, fondée sur l'accès à la culture, je ne sais pas si vous vous rendez compte de ce que ça a de méprisant de dire au peuple de France et d'ailleurs : "vous n'avez pas accès à la culture et nous allons faire tout pour qu'il y ait accès à la culture, vous n'avez pas de culture, moi j'en ai et cette culture là elle est dans les musées, dans les maisons de la culture, dans les centres nationaux, etc, donc venez voir ma culture et vous allez voir comme tout va changer dans vos vies."

J'habite dans un quartier populaire à Grenoble, qui s'appelle La Villeneuve. Il y a à peu près 70% de logements qui sont des logements sociaux et aujourd'hui qui occupe les logements sociaux ? Ce sont des gens qui n'ont peut-être pas travaillé depuis une ou deux générations, qui n'ont pas de revenus, qui sont dans une misère la plus totale, qui sont exclus de l'école, qui sont exclus du service public, qui sont exclus du travail. Dans un quartier de 12 000 habitants, 70% de logements sociaux, vous voyez ce que ça fait comme masse? Nous sommes juste à côté de la maison de la culture, et j'ai assisté à une chose assez effarante l'autre jour. Il y a deux ans j'avais été contacté par une artiste chorégraphe, très sympa, qui m'a dit "j'ai envie de faire un travail de danse, un travail artistique dans ce quartier que j'aime beaucoup, qui est très beau" c'est vrai qu'il est très beau, c'est très contemporain, Corbusier, un parc magnifique..."et je voudrais associer les habitants". Moi qui suis président d'une association de quartier, je lui dis :"et bien tu viens, tu travailles, et puis voilà". Entre temps il y a eu les émeutes dont vous avez peut être entendu parlé, ce qui fait qu'elle n'a pas fait le spectacle parce qu'elle avait un petit peu peur, alors elle a fait un film. Elle a mobilisé 90 acteurs, 90 habitants du quartier, ce qui est énorme, chorale du lycée, du collège, des adultes qui n'ont jamais fait de danse et qui ont réussi à danser. Et ce spectacle filmé a été présenté où ? À la maison de la culture et il ne sera pas présenté sur le quartier. Il y a 90 personnes du quartier qui ont participé à cette "oeuvre d'art" c'est comme ça qu'elle l'appelle et qui ne verront pas la restitution de leur travail. Elle l'explique en disant "moi j'ai fait une oeuvre d'art". Bon, c'est quand même un tout petit peu génant.

Autre exemple, sur le quartier on a une scène, qui est une scène régionale, dédiée aux spectacles jeunes public, c'est à dire les enfants des écoles. Dans le quartier on a 7 écoles et on va leur montrer des spectacles dits "de qualité", nommés de qualité par la Drac, par des gens qui sont légitimes pour dire que ça c'est artistique et ça ne l'est pas. Ces spectacles passent dans le quartier, effectivement ça marche, un public captif, puisqu'on va chercher les enfants dans les écoles et on les emmène voir les spectacles qui effectivement sont souvent bons. Et ça ça s'appelle école du spectateur. Ça veut dire que grosso modo on a une conception de la culture qui est de dire :"vous êtes pas bon les gars, on va vous apprendre à apprécier l'oeuvre d'art qui est préparée dans une scène nationale ou régionale financée par les deniers publics, parce que franchement, vous êtes pas bons". Ça fait quinze ans que cette école du spectateur existe dans le quartier, il n'y a aucun de ces enfant qui adulte est consommateur de spectacles, parce que il ne s'agit pas de leur culture. Et moi j'en viens à la définition de la culture que donne l'UNESCO, je vous la donne: "Le terme culture recouvre les valeurs, les croyances, les convictions, les langues, les arts, les traditions, les institutions, les modèles de vie par lesquels une personne exprime son humanité". Vous voyez que là dedans les arts prennent leur propre place comme l'industrie, comme l'économie, comme les affaires, comme l'écologie, comme le reste. Ce qui veut dire que prétendre qu'aujourd'hui ces politiques culturelles telles qu'elles sont faites définissent la culture comme l'accès à l'art, c'est une supercherie énorme.

Alors moi, j'ai été artiste, quand j'étais comédien, je montais des spectacles utiles, au service de...J'ai quand même eu besoin en tant que personne de continuer à fréquenter la scène et je l'ai fait en tant qu'amateur. J'ai fait de la danse contemporaine en tant qu'amateur et je crois que je prenais exactement le même plaisir qu'en tant que professionnel, c'est à dire un travail que je fais en tant qu'être humain, citoyen, qui n'est pas à la recherche d'un revenu et qui montre son travail à d'autres personnes. La danse contemporaine en amateur c'était par exemple 5 jours de spectacle avec 500 personnes dans la salle. Un public specifique, une production spécifique, avec des gens qui ne vont jamais voir d'autres spectacles parce que ce sont les papas et les mamans des danseurs et des danseuses, ou les cousins, ou les amis ou les parents des amis, etc. Et une pratique amateur, artistique, appelons la comme ça, permet de fédérer les gens autour d'un travail fait par les gens pour d'autres gens. L'artiste social c'est un concept qui m'ennuie profondément, je pense qu'il faudrait travailler l'anlyse beaucoup plus sur les pratiques esthétiques de chacun d'entre nous et offrir la possibilité par la pratique des amateurs, par le soutien à la pratique des amateurs et non par le dénigrement des pratiques amateurs telles qu'elles sont définies, y compris par les artistes eux même, pour que chacun puisse accéder à ces choses là.

Je conclus, je n'ai pas fini de raconter toute ma vie. Après, j'ai été délégué général d'un mouvement qui s'appelle "culture et liberté", un mouvement qui fait un travail sur la culture dans l'entreprise où on essaye de valoriser l'acte de travail comme fait culturel, ce sont des pratiques qui ont été abandonnées dans les années 80, au moment où les syndicats se sont désinterréssés de cette question, vu la crise de l'emploi qui venait, ils ont mis l'energie sur la sauvegarde de l'emploi et non pas sur la valeur symbolique du travail et sa place dans la société. Ensuite j'ai été délégué général des foyers ruraux, chargé de la culture, où là j'ai appris beaucoup de choses sur ces pratiques amateurs. J'ai assisté à des fêtes de la ville, de la bouffe, du camembert, dans des quartiers où pratiquement il ne restait plus que ces fêtes populaires, avec des gens qui effectivement montent un spectacle, tous les ans (sur le plan artistique je ne donnerai aucune analyse), et tous ces gens là, pendant un an, se réunissent tous les mercredis soirs pour en finalité donner un spectacle pour tout le village, qui mange ensemble après le spectacle. Je ne sais pas si cela ne fait pas plus culture que les nouveaux territoires de l'art ou que les friches industrielles ou que les fameuse friches qui deviennent de plus en plus et à terme au bout de dix ans, des scènes nationales qui remplissent à peu près les mêmes statuts et les mêmes privilèges de la construction de l'art et de cette notion de l'oeuvre.

Moi je n'ai pas envie que l'art soit une lecon au peuple, j'ai envie que le peuple fasse de l'art.

Intervention de Perrine Alranque,Fédération des art de la rue : Art de rue et art social Etre porte parole de la Fédération des art de la rue Languedoc Roussillon, ça va pas être simple. Je vais essayer de poser un peu les problématiques et d'abord rappeller un peu ce que c'est cette Fédération des art de la rue Languedoc Roussillon.La Fédération des art de la rue Languedoc Roussillon c'est un réseau d'individus comme de structures qui se veulent composer le paysage des arts de la rue. La fédération rassemble des professionnels dans leur diversité et forme un collectif de compétences actives et plurielles. C'est un espace d'idées, d'informations, d'échanges, de débats, mais aussi un groupe de pression. La fédération défend une éthique, des intérêts communs, liés à la spécificité de la création dans l'espace public. La fédération oeuvre sur trois axes :La reconnaissance professionnelle et artistique.Le développement des financements.Le dialogue avec l'ensemble des acteurs artistiques et culturels.La Fédération des art de la rue Languedoc Roussillon, dans cet enjeux de développement des arts de la rue se base sur le principe que l'art de la rue, l'art dans l'espace public, vient proposer une alternative à la culture commerciale, et à ceux qui en appellent à l'uniformisationAujourd'hui, ceux qui ne sont pas consommateurs sont exclus de cette culture. Ceux-là ne rentrent pas dans le périmètre reconnu ni dans les conventions collectives. Mais les artistes dans tout ça, ceux qui sont continuateurs d'une culture sociale, c'est ceux qui savent que cullture et vie, vie et culture, sont imbriquées. La créativité pure n'est pas la panacée de l'artiste, qu'il soit de rue ou d'ailleurs. La créativité pure appartient à ceux qui s'en saisissent, aux individus qui la sentent comme un moyen d'expression ouvert sur la création d'un autre monde. Faire de l'art social c'est tout simplement croire en la vie, croire qu'il n'y a pas de superiorité culturelle, croire que le génie de l'artiste n'est que le reflet du génie d'une culture, des cultures. Là où il y a de la vie, il y a de la culture, car la vie elle donne au créateur, elle ne fait pas d'exclusion la vie. La lutte pour vivre et pour aimer, c'est la vie. C'est elle qui fait évoluer la culture.Comment j'y suis venue, à, ça, comment je m'y suis retrouvé dans cette fédération, c'est parce qu'il y a quelques années, avec des copains, on a créé une compagnie de théâtre de rue. On l'a appelé comme ça, parce qu'Il n'y avait pas d'autres mots que l'on pouvait utiliser. On s'est dit que justement, on n'était pas des artistes, on n'avait pas le génie et que nous ce qui nous interessait, c'était le génie des peuples et à travers ce génie des peuples, les rituels, les traditions, que depuis la nuit des temps les peuples ont créé. On travaille sur un terrain d'expérimentation, on cherche, on fait un peu d'ethnologie, on essaye de savoir pourquoi depuis la nuit des temps les hommes ont eu besoin de fêter les morts.

 

Intervention de Bahija Kibou,

Réseau Art Factories (Art, population et territoire):

 

Art factories est un réseau international qui a été créé pour réfléchir ensemble sur les liens, les rapports qui peuvent exister entre art, population et territoire. C'est ouvert, donc il y a des artistes, des porteurs de projets, des directeurs de structures, des lieux en tant que tel, souvent des friches culturelles, des acteurs des nouveaux territoires de l'art. Tous sont réunis pour essayer de produire de la connaissance et de l'échange de savoir-faire sur les liens qui peuvent exister entre art, population et territoire. Il est vraiment question de créer un espace de réflexion sur la manière dont il serait possible d'envisager une politique culturelle qui doit intégrer des populations dans leur territoire.

Nous, ce qu'on fait concrètement, ça se définit en trois axes :

Un pôle de production de ressources avec des ateliers de réflexion en interne, des colloques, des publications et des projets de coopération internationaux.

Une plate forme de ressources internet qui regroupe un certain nombre d'informations que je vais développer après.

Un pôle d'accompagnement et conseil, à travers le savoir faire de nos membres, on accompagne les porteurs de projets.

On organise quatre fois par an des ateliers en interne où viennent nos membres. Il sera question de réfléchir sur des sujets d'actualité de la vie culturelle et de questionner nos membres. Chaque membre accueillera à un moment ou à un autre l'atelier de réflexion, c'est lui qui va, avec nous, réflechir à une thématique. Ces ateliers font l'objet ensuite d'une synthèse écrite, lisible sur la plate forme de ressources et ensuite qui fera l'objet d'une publication papier plus tard dans l'année.

On organise aussi des colloques, le plus souvent on co-organise, on travaille avec des acteurs qui souhaitent réfléchir sur certaines questions. Par exemple on a organisé en Septembre un colloque avec l'Usine de Genève, sur la question de culture et d'urbanisme et la question de gentrification. C'est vraiment lié à l'embourgeoisement des villes, des centre-villes, des espaces.

On participe aussi à des études de réflexion, on a mené cette année une étude-action, on a essayé de réfléchir avec des chercheurs, on parle plutôt d'experts ou de personnes ressources, sur la place de ces lieux d'expérimentation dans une grosse machine comme la capitale européenne de la culture.

On travaille aussi depuis l'année dernière sur un projet de culture et politique de la ville, il s'agit d'essayer de dresser un portrait qui n'est pas toujours exhaustif mais qui peut donner une visibilité et une lisibilité à la culture dans la politique de la ville.

Le dernier projet de publication, c'est un projet qui est encore loin d'être définitif mais qui traitera de spectacle vivant dans les nouveaux territoires de l'art. Même si on essaye de plus en plus de détacher le théâtre et les nouveaux territoires de l'art, on essaye de réfléchir sur le spectacle vivant dans les espaces d'expérimentation.

Intervention de la Compagnie Sin :

 

On est là pour vous parler d'un projet qu'on mène sur le territoire de Montpellier, sur le quartier du Petit Bard depuis deux ans. Mais je vais d'abord vous présenter la compagnie. Elle existe depuis une quinzaine d'années à peu près. Elle s'est créée dans les Alpes Maritimes, sur Nice plus exactement, en réunissant à la fois des étudiants qui étaient en art du spectacle et des jeunes travailleurs. On travaillait entre la MJC de Grasse et l'université de Nice. La MJC de Grasse c'était encore une de ces MJC pour laquelle l'éducation populaire, le travail avec les populations, la participation des populations à la gestion de la maison, etc, étaient une réalité. C'était un combat politique de longue haleine. A l'université, avec cette compagnie, on se posait des questions, on était tout jeunes, encore plus que maintenant, à se demander comment on fait un art, pas forcément un art social, mais à se demander comment avec l'art on peut continuer à faire de la politique ou à réunir des énergies de gens qui ne sont pas forcément, qui ne se disent pas artistes et qui en même temps ont envie de prendre le pavé, ont envie de... Et donc on montait des auteurs comme Brecht, comme Camus, on créait du théâtre d'intervention dès qu'il y avait une nouvelle qui paraissait quelque chose sur laquelle il fallait s'engager, dans les Alpes Maritimes ça ne manquait pas, et ça continue à ne pas manquer d'ailleurs en ce moment. On a grandi comme ça, jusqu'à occuper avec d'autres artistes, avec d'autres compagnies, d'anciennes casernes militaires, ça s'appelait la Brèche / Les Diables bleus, à Nice, c'était une expérience vraiment particulière parce que c'est pas si souvent que ça a lieu dans les Alpes Maritimes ce genre de rassemblement. C'était un lieu qui était à cheval entre deux choses, il y avait deux batiments, un qui était dédié au lien avec les populations, avec les associations qui s'engageaient dans le domaine de la citoyenneté, et un batiment où on était sur une forme de tour d'ivoire dédiée aux arts, à la création théâtrale, photographique, etc. On a essayé pendant cinq ans de faire fonctionner cette alchimie entre citoyenneté et art, jusqu'à ce que la municipalité front nationale de Nice nous expulse.

Notre posture de pas institution, de pas travailleur social, même si les institutions font tout pour nous faire rentrer dans leurs carcans, en nous disant ça va pas fonctionner si vous faites pas comme ça, les femmes vous les aurez pas si vous passez pas par les associations d'alphabétisation, les jeunes vous les aurez pas si vous bossez pas avec les éducateurs, etc. Nous, sans du tout essayer de mettre les associations sur la touche, on s'est dit c'est à nous d'aller directement à la rencontre. Et cette posture là, d'artistes, pour dire un nom, mais notre posture à nous, d'humains, qui partions à la rencontre, et ça aurait pu être l'ethnologue qui fait son travail de terrain, mais cette posture là, d'aller discuter autant avec le flic municipal, le dealer, le vieux musulman hyper croyant, la jeune qui refuse de porter le voile et qui s'en prend tous les jours plein la tête, sans avoir l'impression de franchir de barrières, on a pu rencontrer un panel de personnes très large. En ne se limitant pas à là où on nous envoyait, en se laissant guider par notre envie d'être là, nos discussions, nos manières d'aller taper aux portes, de dire ce qu'on avait envie de faire, et sans faire attention aux gens qui nous disaient forcément, vous êtes génants, les dealers, avec vos caméras, vous allez avoir des problèmes. Les gars quand tu les rencontres, ils te disent filme pas là mais si tu veux discuter avec moi, et puis rapidement tu filmes parce que le gars il sent que t'es pas un danger et que si tu filmes c'est pas pour le balancer sur Facebook ni à France 3, et ça s'est très bien passé.

On s'amuse vraiment avec le témoignage brut, parce qu'on nous l'a donné, et puis on a des textes qu'on écrit à partir des gens qu'on a rencontré, et des textes qui sont intimes, poétiques, où on s'interroge nous aussi sur les rencontres qu'on fait et ce que ça nous fait. Aller rencontrer les intimités de certaines personnes c'est aussi aller leur dévoiler sa propre intimité, son propre rapport à l'autre. Elle nous dit avant je portais pas le voile, on me regardait de travers parce que j'étais habillée comme ça, puis au fur et à mesure j'ai eu une quête spirituelle, j'ai commencé à prier, pour moi....

 

 

  ERRANCE EN AÉA